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PLAN DE LA PAGE :

Jean JAURÈS  Lettre aux Instituteurs  La Dépêche du Midi  15 janvier 1888

Albert CAMUS Discours de Stockholm (Nobel) extrait  10 décembre 1957

William J. RIPPLE  Appel ... sur le climat  5 novembre 2019

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Lettre aux Instituteurs

LETTRE AUX INSTITUTEURS

Jean JAURÈS La Dépêche du Midi 15 janvier 1888

Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire et à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort.

 

Eh quoi ! Tout cela à des enfants ! — Oui, tout cela, si vous ne voulez pas fabriquer simplement des machines à épeler. Je sais quelles sont les difficultés de la tâche. Vous gardez vos écoliers peu d’années et ils ne sont point toujours assidus, surtout à la campagne. Ils oublient l’été le peu qu’ils ont appris l’hiver. Ils font souvent, au sortir de l’école, des rechutes profondes d’ignorance et de paresse d’esprit, et je plaindrais ceux d’entre vous qui ont pour l’éducation des enfants du peuple une grande ambition, si cette grande ambition ne supposait un grand courage.

 

J’entends dire, il est vrai : « À quoi bon exiger tant de l’école ? Est-ce que la vie elle-même n’est pas une grande institutrice ? Est-ce que, par exemple, au contact d’une démocratie ardente, l’enfant devenu adulte ne comprendra point de lui-même les idées de travail, d’égalité, de justice, de dignité humaine qui sont la démocratie elle-même ? » — Je le veux bien, quoiqu’il y ait encore dans notre société, qu’on dit agitée, bien des épaisseurs dormantes où croupissent les esprits. Mais autre chose est de faire, tout d’abord, amitié avec la démocratie par l’intelligence ou par la passion. La vie peut mêler, dans l’âme de l’homme, à l’idée de justice tardivement éveillée, une saveur amère d’orgueil blessé ou de misère subie, un ressentiment et une souffrance. Pourquoi ne pas offrir la justice à des cœurs tout neufs ? Il faut que toutes nos idées soient comme imprégnées d’enfance, c’est-à-dire de générosité pure et de sérénité.

 

Comment donnerez-vous à l’école primaire l’éducation si haute que j’ai indiquée ? Il y a deux moyens. Il faut d’abord que vous appreniez aux enfants à lire avec une facilité absolue, de telle sorte qu’ils ne puissent plus l’oublier de la vie et que, dans n’importe quel livre, leur œil ne s’arrête à aucun obstacle. Savoir lire vraiment sans hésitation, comme nous lisons vous et moi, c’est la clef de tout. Est-ce savoir lire que de déchiffrer péniblement un article de journal, comme les érudits déchiffrent un grimoire ? J’ai vu, l’autre jour, un directeur très intelligent d’une école de Belleville, qui me disait : « Ce n’est pas seulement à la campagne qu’on ne sait lire qu’à peu près, c’est-à-dire point du tout ; à Paris même, j’en ai qui quittent l’école sans que je puisse affirmer qu’ils savent lire. » Vous ne devez pas lâcher vos écoliers, vous ne devez pas, si je puis dire, les appliquer à autre chose tant qu’ils ne seront point par la lecture aisée en relation familière avec la pensée humaine. Qu’importent vraiment à côté de cela quelques fautes d’orthographe de plus ou de moins, ou quelques erreurs de système métrique ? Ce sont des vétilles dont vos programmes, qui manquent absolument de proportion, font l’essentiel.

J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c’est là-dessus seulement que je jugerais le maître.

 

Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale, il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. De ce que l’on sait de l’homme primitif à l’homme d’aujourd’hui, quelle prodigieuse transformation ! et comme il est aisé à l’instituteur, en quelques traits, de faire sentir à l’enfant l’effort inouï de la pensée humaine !

 

Seulement, pour cela, il faut que le maître lui-même soit tout pénétré de ce qu’il enseigne. Il ne faut pas qu’il récite le soir ce qu’il a appris le matin ; il faut, par exemple, qu’il se soit fait en silence une idée claire du ciel, du mouvement des astres ; il faut qu’il se soit émerveillé tout bas de l’esprit humain, qui, trompé par les yeux, a pris tout d’abord le ciel pour une voûte solide et basse, puis a deviné l’infini de l’espace et a suivi dans cet infini la route précise des planètes et des soleils ; alors, et alors seulement, lorsque, par la lecture solitaire et la méditation, il sera tout plein d’une grande idée et tout éclairé intérieurement, il communiquera sans peine aux enfants, à la première occasion, la lumière et l’émotion de son esprit. Ah ! sans doute, avec la fatigue écrasante de l’école, il vous est malaisé de vous ressaisir ; mais il suffit d’une demi-heure par jour pour maintenir la pensée à sa hauteur et pour ne pas verser dans l’ornière du métier. Vous serez plus que payés de votre peine, car vous sentirez la vie de l’intelligence s’éveiller autour de vous.

 

Il ne faut pas croire que ce soit proportionner l’enseignement aux enfants que de le rapetisser. Les enfants ont une curiosité illimitée, et vous pouvez tout doucement les mener au bout du monde. Il y a un fait que les philosophes expliquent différemment suivant les systèmes, mais qui est indéniable : « Les enfants ont en eux des germes, des commencements d’idées. » Voyez avec quelle facilité ils distinguent le bien du mal, touchant ainsi aux deux pôles du monde ; leur âme recèle des trésors à fleur de terre : il suffit de gratter un peu pour les mettre à jour. Il ne faut donc pas craindre de leur parler avec sérieux, simplicité et grandeur.

 

Je dis donc aux maîtres, pour me résumer : lorsque d’une part vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque d’autre part, en quelques causeries familières et graves, vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d’éducateurs. Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront.

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Albert Camus

DISCOURS DE STOCKHOLM (Prix Nobel)

10 décembre 1957

 

 

Extrait :

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d'établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu'elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d'alliance. Il n'est pas sûr qu'elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l'occasion, sait mourir sans haine pour lui. C'est elle qui mérite d'être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C'est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l'honneur que vous venez de me faire.

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Camus à Stockholm

APPEL DES SCIENTIFIQUES DU MONDE ENTIER SUR L'URGENCE CLIMATIQUE

A l'INITIATIVE DU PROFESSEUR WILLIAM J. RIPPLE

Version simplifiée - 5 novembre 2019

 

Appel cosigné par 11 258 scientifiques de 153 pays 

 

Sources : https://scientistswarning.forestry.oregonstate.edu 

Nous, scientifiques, avons l'obligation morale d'avertir clairement l'Humanité de toute menace catastrophique. Dans cet article, nous présentons une série de signes graphiques essentiels du changement climatique au cours des 40 dernières années. Les résultats montrent que les émissions de gaz à effet de serre continuent d'augmenter, avec des effets de plus en plus dommageables. À quelques exceptions près, nous ne parvenons généralement pas à résoudre ce problème. La crise climatique est arrivée et s'accélère plus rapidement que prévu par de nombreux scientifiques. Elle est plus grave que prévue et menace les écosystèmes naturels et le destin de l’Humanité.

Nous proposons six mesures essentielles et interdépendantes que les gouvernements et le reste de l’Humanité peuvent prendre pour atténuer les pires effets du changement climatique: 1) énergie, 2) polluants à vie courte, 3) nature, 4) alimentation, 5) économie et 6) population.

Atténuer et s'adapter au changement climatique implique des transformations dans la manière dont nous gouvernons, gérons, nourrissons et répondons à nos besoins en matériaux et en énergie.

 

Nous sommes encouragés par la récente vague de préoccupations mondiale. Les organismes gouvernementaux font des déclarations d'urgence climatique. Le pape a publié une encyclique sur le changement climatique. Les écoliers se mettent en grève. Des poursuites pour écocide sont en cours devant les tribunaux. Les mouvements de citoyens à la base exigent des changements.

En tant que scientifiques, nous préconisons d’urgence l’utilisation généralisée de nos signes vitaux et nous prévoyons ce que les indicateurs graphiques signifient. Qu’ils permettent aux décideurs et au public de comprendre l’ampleur de cette crise, de suivre les progrès et de redéfinir les priorités pour atténuer les effets du changement climatique.

La bonne nouvelle est que ce changement transformateur, assorti d'une justice sociale et écologique, promet un bien-être humain supérieur à long terme par rapport au statu quo. Nous pensons que les perspectives seront meilleures si les décideurs politiques et le reste de l'Humanité réagissent promptement à notre alerte et à notre déclaration d'urgence climatique, qu’ils agiront pour maintenir la vie sur la planète Terre, notre unique demeure.

Texte original :

We scientists have a moral obligation to clearly warn humanity of any catastrophic threat. In this paper, we present a suite of graphical vital signs of climate change over the last 40 years. Results show greenhouse gas emissions are still rising, with increasingly damaging effects. With few exceptions, we are largely failing to address this predicament. The climate crisis has arrived and is accelerating faster than many scientists expected. It is more severe than anticipated, threatening natural ecosystems and the fate of humanity.

We suggest six critical and interrelated steps that governments and the rest of humanity can take to lessen the worst effects of climate change, covering 1) Energy, 2) Short-lived pollutants, 3) Nature, 4) Food, 5) Economy, and 6) Population. Mitigating and adapting to climate change entails transformations in the ways we govern, manage, feed, and fulfill material and energy requirements.

We are encouraged by a recent global surge of concern. Governmental bodies are making climate emergency declarations. The Pope issued an encyclical on climate change. Schoolchildren are striking. Ecocide lawsuits are proceeding in the courts. Grassroots citizen movements are demanding change.

As scientists, we urge widespread use of our vital signs and anticipate that graphical indicators will better allow policymakers and the public to understand the magnitude of this crisis, track progress, and realign priorities to alleviate climate change.

The good news is that such transformative change, with social and ecological justice, promises greater human well-being in the long-run than business as usual. We believe that prospects will be greatest if policy makers and the rest of humanity promptly respond to our warning and declaration of a climate emergency, and act to sustain life on planet Earth, our only home.

Télécharger les deux textes (anglais et français)

Appel... sur le climat
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